Il est là, trônant fièrement dans son bureau, comme sur son premier pot. Il vient d’une grande firme internationale, reconnue, redoutée. Il est logique, implacable et formaté aux besognes les plus ardues, voire les plus viles. On fait appel à lui lorsqu’on renâcle à faire le sale boulot soi-même, à salir ses mains d’aristocrates en assumant les pleurs de détresse déclenchés par les plans de restructuration, les projets d’envergure, les assainissements de premier ordre. 

Il est fort, il est brillant, il pourrait briguer les investitures les plus incroyables. Il est le roi de l’illusion, le David Copperfield des entreprises, capable de faire disparaître en un clin d’œil ce que d’autres ont mis des générations à construire. On l’appelle « le consultant ». D’ailleurs, on ne l’appelle pas, il s’immisce, il s’impose et vous nargue de la splendeur de son attaché-case high-tech entièrement tactile et réinitialisé pour chaque client.

Œil limpide, costume passe-partout, sourire carnassier, maxillaires vissées par l’indécrottable sourire n°2 (le n°1 est pour le patron), il surfe sur la vague stratégico-bureaucratico-directionnelle de n’importe quelle société avec un talent rare. Athlète incontesté du mimétisme managérial, de la manipulation collégiale, de la lobotomisation stratégique, de l’imperméabilité humaine, il a la désinvolture éprouvée et la lâcheté incontestée du parasite qui ne produit rien, mais broie et recrache la substance qu’on lui sert sans sourciller, et avec des scrupules réduits en bouillie par des années de pratique.

A quoi le reconnaît-on ? Il se tient droit, le consultant, pour symboliser la droiture intellectuelle qui lui fait défaut ; il sourit, le consultant, pour manifester sa joie toute extérieure ; il investit les bureaux, le consultant, à défaut de sa mission, mais on ne peut pas tout faire ; il est plutôt bien mis, le consultant, car il sait que les apparences sont trompeuses, et il trompe énormément ; il a le « know how », le consultant, car il est toujours confronté à des « no » catégoriques et à des « aouh », cri habituel de maltraitance poussé par ses victimes ; il enjolive, le consultant, car il joue son cachet et vous, l’aspirine ; il charme, le consultant, car il a appris à laisser les serpents siffler au-dessus de sa tête ; il fait peur, le consultant, car il attise les braises et n’hésite pas à mettre le feu aux poudres ; il est fui, voir haï, le consultant, car il oblitère les ressources budgétaires et humaines comme des tickets de métro, qu’il jette ensuite à la poubelle.

Les mots « performance » (opération consistant à mettre sous perfusion une activité saine au demeurant, en prouvant par A+B qu’elle ne pourrait survivre sans un traitement de choc) et « cadence » (pilonnage régulier des troupes à coup de phrases creuses et toutes faites, un brin mégalo, ainsi que de solutions issues de méthodologies empruntées au monde industriel d’après-guerre) remplacent avantageusement, dans leur vocabulaire subtil, « malchance » (stratégie de consulting ayant abouti à un fiasco… la faute à pas de chance) et « vacances » (désignant tous les tire-au-flanc se débinant à 17h ; peut parfois être assorti de l’adjectif « prolongées » lorsque le tire-au-flanc rentre dans le collimateur du consultant, et donc de la direction pendue à ses jugements derniers).

Le consultant ne réfléchit pas, il n’est pas payé pour ça. Le consultant consulte… hélas, non pas un psy, mais vos registres et résultats. Le consultant épluche… non pas vos patates chaudes, mais vos comptes… ce qui, dans certains cas, revient au même). Le consultant atomise… toute velléité d’opposition (irradiant les plus faibles de sa mononucléose galopante comme toute centrale virale qui se respecte). Le consultant s’insurge… contre vos méthodes inefficaces d’un autre temps (il est temps de tester les siennes qui le sont tout autant), mais emprunte leur soi-disant fiabilité imparable au domaine très prisé des mathématiques appliquées (mais, non, ce n’est pas théorique… plutôt empirique, et vous en faites les frais… sur le terrain, chanceux que vous-êtes !). Le consultant a toujours raison… même s’il a tort (règle de base du manuel du débutant). Le consultant n’est pas un stakhanoviste, féru de techniques kolkhoziennes… il est évolué, lui. Le consultant coûte cher… sinon comment pourrait-il justifier qu’il est le meilleur ? Il a beau avoir le cœur sec, son porte-monnaie contient pas mal de liquide. Le consultant vous tient tête… parce qu’il est plus grand que vous (technique de la talonnette pratiquée par certains présidents ayant la folie des grandeurs). Enfin, le consultant vous emmerde… lorsqu’il vous fout dedans (ce qui est étymologiquement irréfutable). 

Véritable machine de guerre, le consultant n’a du sultan respectable que la particule qui le précède et rare sont ceux qui décèlent en lui la sensualité du prédateur consensuel.

Animal domestiqué (et non domestique, malgré le balai qui engonce ses entrailles) par des années de modelage McKingpay, il s’infiltre partout avec une modestie sans pareille (chez eux, on fait toujours mieux qu’ailleurs… c’est précisément pour cela qu’ils ont quitté le navire). Il fait du consulting (Prononcez cela avec l’accent de Boston de préférence). Il a donc tout vu, tout bu, tout fait, tout compris. Il va vous expliquer comment vivre votre société, vous qui l’arpentez depuis une décennie, car il la sent si bien depuis deux semaines. C’est vous qui n’avez rien compris, mon vieux. Réveillez-vous ! L’heure n’est plus à la réflexion, à l’action et aux relations… il faut pa-ra-mé-trer, in-dus-tria-li-ser et im-plé-men-ter (qu’est-ce que ça veut dire ? Mais, j’en sais rien, moi, regardez dans le dico !). Comment fait-on pour expliquer aux autres la nouvelle vision et ce qui doit changer ? Mais, grâce aux « charts », « templates » et autres réjouissances informatiques imbitables. 

C’est simple : vous prenez une feuille. Vous y dessinez des ronds et des carrés de différentes couleurs…mais, non pas à la main, sombre idiot, ça fait artisanal… avec l’ordinateur en jouant sur votre fichier Power Point. Voilà. Maintenant, prenez bien soin d’y parsemer de-ci, de-là des cascades de chiffres minuscules et des mots de préférence en anglais. Ben oui, pauvre retardataire que vous êtes. Ensuite, rajoutez-y un titre à rallonge et des légendes (pas des contes de fées, mais des comptes de faits, comme eux). Ah, j’oubliais, pensez à rajouter des abréviations incompréhensibles (vous êtes toujours plus crédibles quand on ne vous comprend pas, z’avez pas remarqué ?). Et si vraiment vous voulez en jeter un max, je connais un ou deux trucs pour créer des animations à l’écran… là, vous êtes sûrs de les achever par vos effets spéciaux. Mais attention, c’est pas donné à tout le monde d’être consultant, car il faut parler le dialecte. Parfaitement, une langue en soi. Les linguistes avertis polémiquent sur sa nature et ses origines. D’aucuns la considèrent comme une des premières langues de pute au monde, d’autres comme une langue de vipère. Quoiqu’il en soit, elle s’articule habilement autour de sonorités complexes (onomatopées saccadées, rythme asynchrone, mots avalés pour ne pas en révéler l’infâme et l’infime teneur, accents germaniques pour la rigueur et anglo-saxons pour l’innovation) et de termes totalement inconnus ou inventés de toute pièce (« prioritisation » : priorité aux prix le plus élevé pour de pauvres recommandations ; « évangélisation » : selon St Pognon peut-être ; « cartographie » : sorte de mammographie des troupes… aïe, il va y avoir des ablations ; « délivrable » : livraison douloureuse de râbles de lièvres déterrés en tous genres). 

De la poudre aux yeux, dites-vous ? Vous vous emballez, mon vieux ; là, je vous trouve injuste… une pointe de jalousie peut-être ? Je vous signale quand même que le fameux consultant au sourire crispé – qui empoche cinq fois votre salaire soit dit en passant (et toc !)- bénéficie, lui, de l’écoute irraisonnée de vos patrons. Oui, je sais, ça fait mal. Vous vous démenez pour eux sans compter depuis 10 ans et ils ne vous accordent aucune attention. Mais, c’est parfaitement normal, mon vieux, vous n’êtes qu’un employé qu’ils payent modestement. Avouez que si vous deviez raquer très cher pour une voiture qui fait du bruit ou un objet bling-bling, vous y feriez plus attention qu’à votre Peugeot 307, je me trompe ? Eh bien, eux, c’est pareil. Hou, votre regard ulcéré, votre mine écarlate et vos grognements sourds ne me disent rien qui vaille. Mais, il faut les comprendre, vos patrons. Au moins, avec un consultant, ils ne risquent pas grand-chose si ce n’est une bulle d’air puisque ces braves gens sont formés à brasser, non pas de l’orge, ni de l’oseille (sinon ça ce saurait chez les buveurs de bière et les gestionnaires de portefeuille), mais de l’air. Ils sont à cet égard totalement dans le vent. D’ailleurs, y a qu’à voir comme ils ont réussi à faire décoller certaines compagnies d’aviation en difficulté (Comment ? Ah, ils les ont mises à terre… écrasées, non ?! Je l’ignorais… autant pour moi). Quoiqu’il en soit, reconnaissez qu’ils sont forts : ils débarquent chez vous, vous piquent du pognon pour vous expliquer comment vous fonctionnez (ce que vous savez déjà) et partent en laissant une grosse ardoise. C’est-à-dire qu’une fois qu’ils ont mis le bordel (pardonnez-moi, je m’emporte et deviens insultant avec le consultant), il faut bien faire le ménage… et, ça vous re-coûte pour tout remettre en ordre. En fait, ce sont de formidables créateurs de désordre, des professionnels de l’agitation de particules que l’on retrouve sur un plan universel. Mais, j’y songe, on pourrait les envoyer au CERN travailler sur l’accélérateur à particules puisqu’ils sèment le chaos à grande échelle en un temps record ?! Comment ? Vous opteriez plutôt pour une geôle équatoriale et proposez même de leur offrir le billet d’avion simple aller ? Pas mal, mon vieux, y a de l’idée. L’avantage, c’est que même s’ils ne sont pas vêtus de la combinaison du prisonnier, ils le sont de leurs schémas mentaux (répétitifs et indifféremment collés à toutes les sauces) et restent donc facilement identifiables. Voyez, mon vieux, on ne pourra jamais vous confondre avec l’un d’entre eux… vous êtes beaucoup trop dans le concret et vous n’arrivez pas à prendre la couleur du support sur lequel vous vous trouvez. Vous êtes toujours verdâtre en foulant la moquette blanche des patrons et grisâtre en piétinant celle de votre bureau (bravo, il y a du progrès, vous touchez au but ! Persévérez dans cette voie…). 

Faites preuve de plus d’assurance et changez d’attitude, mon vieux ! Assénez vos points de vue ! Coupez la parole aux autres ! Faites des blagues que vous seul comprenez ! Soyez culotté même en cas de déculottée ! Apprenez à dire « absolument pas », « spin off », « c’est un fait avéré », « yes, we can » et « moi je sais mieux que toi, pauvre plouc ». 

Bon, assez discuté, mon vieux. Revenez quand vous aurez fait du chemin. Je vous testerai avec un petit programme spécial consulting de type MBTI (Mieux vaut Baiser Ton voisin qu’être Intègre)… vous allez voir, c’est formidable !